mercredi, août 02, 2006

la vieille mariée

Dans le café où j'avale goulument un croque ce midi, elle est entrée...
La dame est très vieille mais d'une droiture irréprochable, fière et haute, seule, unique, lente dans chacun des mouvements qu'elle déploie avec une attention presque douloureuse. Elle s'avance silencieuse, patiente, chapeautée d'un cloqué de tulle et glissée dans une robe de mariée que les longues années ont rendu trop large et légèrement envahissante malgré la discrétion de son drapé.

Le silence coupe court aux conversations. L'étonnement se transforme en sourire.
La vieille dame prend place sur une banquette dans la fumée des cigarettes et commande un ballon de vin rouge. Les plis lourds de sa longue jupe à peine ourlée d'une vieille dentelle tombent sur des jambes trop frêles chaussées de sandalettes estivales. La dame se tait et aspire une volute bleue interminablement. Le temps n'existe plus pour elle.

On s'habitue peu à peu à cette peinture surréaliste qui envahit l'espace. Dame étrange qui veut retrouver envers et contre toutes les convenances les souvenirs estompés d'un moment d'amour perdu, enfuie sans doute d'une maison où la retraite coule trop triste...

L'émotion est confuse. La vieille mariée est calme et sereine, ses lèvres restent serrées mais elle est belle.
Le ridicule de la situation un peu pathétique attire les grimaces et chuchotements chez certains... Pour couvrir le malaise peut-être...

Pourtant, pourtant, une seule impression me poursuit... Celle d'une énorme tendresse et d'un respect absolu qui accroche le coeur. J'aurais voulu me lever et l'embrasser si sa froideur venue d'une autre époque n'avait incité à une distance inviolable.
L'image s'estompe peu à peu, comme les couleurs des clichés des beaux moments enfermés dans une armoire à l'odeur de lavande...